Dans
la plupart des discussions sur le statut des langues africaines
aujourd'hui, particulièrement entre les spécialistes
de langues, une expression qui revient constamment est la revalorisation
de nos langues. Cela veut donc dire que les langues africaines
avaient jadis un rôle et une vitalité qui n'ont
pu résister à l'impact du colonialisme.
Avant la colonisation, les langues africaines constituaient
les seuls moyens de socialisation au sein de la communauté
linguistique, et de communication au sein et en dehors du groupe.
Jamais il n'avait été question de stigmatiser
sa propre langue. En fait l'expression de la culture était
intimement liée à la langue. Aujourd'hui, la situation
a changé. Les langues européennes importées
qui étaient celles de l'administration coloniale, ont
éclipsé les langues africaines, et sont devenues
le mode préféré de communication dans presque
tous les domaines. Il n'est pas rare de rencontrer des enfants
africains élevés dans la langue anglaise ou française,
même à la maison, et beaucoup d'adultes africains
à l'aise dans leur langue maternelle mais incapables
de la lire.
L'effet le plus pervers du statut de domination des langues
importées est la marginalisation des langues africaines
et l'attitude négative qui s'est développée
par rapport à leur utilisation dans certains domaines.
Par exemple, très peu d'Africains sont convaincus qu'il
est possible de dispenser une bonne éducation au-delà
de l'enseignement primaire dans leurs langues maternelles. Cette
attitude est le résultat de décennies d'enseignement
et d'apprentissage dans les langues importées et pratiquement
à tous les niveaux du système éducatif.
Ceux qui sont lettrés seulement dans une langue africaine
nourrissent un complexe d'infériorité vis à
vis de ceux-là qui sont compétents dans les langues
officielles importées. Ce sentiment de frustration est
continuellement renforcé par la nature élitiste
de notre système éducatif qui empêche beaucoup
d'enfants de s'inscrire, ou même de terminer le cycle
de l'enseignement primaire.
Outre la marginalisation, le partage de l'Afrique, avec
la séparation consécutive des populations parlant
la même langue, a eu un certain nombre de conséquences.
Premièrement, les politiques divergentes des différentes
administrations coloniales ont abouti à des traitements
différents à l'égard d'un même groupe
linguistique. Deuxièmement, le cloisonnement des différentes
langues officielles a créé une barrière
pour la communication et la collaboration. Troisièmement,
le fait que la même langue africaine soit au contact de
deux langues officielles différentes a donné lieu
à des interférences divergentes dans les domaines
de l'orthographe, des emprunts et de l'alternance codique. Par
exemple, dans les noms en particulier, et dans d'autres mots,
le son /u/ s'écrit 'u' et 'ou' et le son /g/ s'écrit
'g' et 'gu' en Yoruba au Bénin et au Nigeria (ex : fùfù,
foùfoù ; Igè, Iguè) respectivement,
tandis que le son 'w' s'écrit avec 'w' et 'ou' en Haousa
au Nigeria et au Niger (ex : Lawali, laouali) respectivement.
De même, les emprunts et les alternances codiques concernent
l'anglais et le français respectivement. Par exemple,
pendant que les Yoruba au Nigeria utilisent odum nineteen sixty
four ceux du Bénin utilisent odum mille neuf cent soixante
quatre, tous les deux pour signifier 'l'année 1964'.
Etant donné la situation actuelle des langues africaines,
il est indéniable qu'il faut les repositionner, les revaloriser,
et leur conférer des compétences afin qu'elles
puissent être utilisées dans des domaines encore
plus variés. En outre, compte tenu du taux d'analphabétisme
élevé en Afrique, il n'existe aucune autre alternative
à l'utilisation des langues africaines dans l'alphabétisation,
en vue de garantir une plus grande participation des populations
dans le processus de développement.
La suite de cette allocution sera consacrée aux efforts
qui ont été fournis auparavant pour promouvoir
les langues africaines, le rôle catalyseur que jouera
l'ACALAN en vue d'un changement radical des approches actuelles,
les stratégies à adopter, et les buts et objectifs
ultimes.
Habilitation des Langues Africaines
L'Afrique a connu plusieurs tentatives d'habilitation de ses
langues, particulièrement à travers les activités
de l'UNESCO et de l'OUA. Celles-ci ont été, en
grande partie, menées à travers des résolutions
non contraignantes prises lors des conférences internationales
(par exemple le Plan d'Action Linguistique de l'O.U.A pour l'Afrique
en 1986, et la Déclaration de Hararé en 1997)
et la création d'Institutions destinées à
des domaines spécifiques. Entre autres exemples de telles
institutions, on peut citer le Bureau Interafricain des Langues
(BIL) de l'OUA de Kampala en Ouganda, maintenant dissout, le
Centre d'Etude Linguistique et Historique pour la Tradition
Orale (CELHTO) de Niamey au Niger, et le Centre Régional
de Documentation sur les Traditions Orales et les Langues Africaines
(CERDOTOLA) de Yaoundé au Cameroun. L'UNESCO a, pour
sa part, surtout été active dans la promotion
et l'utilisation des langues africaines dans l'éducation
en général et dans l'alphabétisation en
particulier. En guise d'habilitation des langues africaines,
l'UNESCO a parrainé la traduction de l'Histoire de l'Afrique
en Swahili, en Haousa et en Yoruba.
Les thèmes qu'on retrouve dans toutes les résolutions
des différentes conférences peuvent se résumer
comme suit :
- Les langues africaines devraient être développées
en vue de leur utilisation dans des
domaines plus variés, particulièrement dans
l'éducation, la communication, la législation
et
la technologie.
- L'utilisation des langues africaines dans l'enseignement
et l'apprentissage est fortement
recommandée parce qu'elle rend la transition de l'école
à la maison plus naturelle, et
l'éducation formelle accessible à un plus grand
nombre d'enfants en âge d'aller à l'école.
- L'éradication de l'analphabétisme à
travers des programmes d'alphabétisation des masses
ne peut être atteinte sans l'utilisation des langues
locales. Les gouvernements africains
doivent donc faire de l'utilisation de ces langues la pierre
angulaire de leur politique
linguistique.
- Le développement économique et social
requiert la mobilisation de toutes les ressources
humaines d'une nation et l'utilisation des langues africaines
est mieux indiquée pour ce
faire.
- Le potentiel des langues transfrontalières pour
la communication et l'intégration doit
être exploité à travers la collaboration
et l'harmonisation des politiques linguistiques.
- Les langues véhiculaires aux niveaux national
et régional devraient être adoptées comme
langues officielles et langues de travail respectivement,
à la place des langues non
africaines qui jouent ces rôles actuellement.
- Les langues importées existantes (autrement appelées
langues partenaires) devraient
continuer à jouer un certain rôle dans l'enseignement
secondaire et supérieur, dans le cadre
d'une politique de bilinguisme planifié.
- En vue de garantir leur concrétisation effective,
ces politiques devraient être appuyées par
une législation nationale, et un plan d'action spécifiant
le chronogramme, les modalités et
les agents ou les structures de mise en uvre devrait
être élaboré.
Un examen des propositions et des résolutions ci-dessus
montrera qu'elles n'apportent rien de nouveau parce que répétées
et recyclées de conférence en conférence.
Ce qui est vraiment frappant, c'est dans quelle mesure elles
sont restées lettres mortes et n'ont jamais été
sérieusement abordées. Une telle négligence,
à elle seule, justifie un approche nouvelle, approche
que représente la création de l'ACALAN.
Rôle Catalyseur de l'ACALAN
Pourquoi l'Académie Africaine des Langues (ACALAN) ?
Un examen des initiatives malheureuses aux niveaux national,
continental et régional montre qu'une raison principale
du manque de réussite est l'absence de structures appropriées
pour propulser la mise en uvre des politiques adoptées
de commun accord. Il ne suffit pas seulement de passer des résolutions
sur les langues au cours des conférences ; ces résolutions
doivent s'intégrer dans des politiques linguistiques
nationales, et un plan d'action détaillé doit
être élaboré. Il faut pour ce faire qu'il
y ait d'une part, un corps d'experts chargés de préparer
et de mettre en uvre de tels plans, et d'autre part, un
financement adéquat pour appuyer ces politiques.
La création de l'ACALAN devra permettre de s'attaquer
aux insuffisances de la pratique actuelle en adoptant une double
approche. Premièrement, au niveau continental, l'ACALAN
sera la plus haute instance pour insuffler des idées,
traduire les décisions en matière de politique
linguistique en plans d'action réalisables, et disposer
d'un réservoir d'expertises à la disposition des
Etats membres de l'Union Africaine dans le cadre de la formulation
et de la mise en uvre de leurs politiques linguistiques.
Deuxièmement, aux niveaux sous régional et national,
il y aura une approche à la base à travers la
mise en place d'une commission de langue pour chaque langue
(cf. MACALAN 2001). Cette deuxième approche a deux avantages
majeurs: les parties prenantes à une langue donnée
se sentiront également concernées par la recherche
et la mise en uvre de la politique linguistique relative
à cette langue. En outre, parce que les langues africaines
traversent les frontières politiques, cela donnera lieu
à des actions et à des politiques conjointes concernant
le développement et l'utilisation des langues transfrontalières.
L'essentiel des activités de l'ACALAN sera exécuté
par des Académiciens venant des quatre coins de l'Afrique,
et qui serviront de modèles d'excellence et d'émulation
pour les jeunes chercheurs. Ils y apporteront leurs riches expériences
et leurs idées. Par leur engagement, ils démontreront
que l'habilitation des langues africaines est un objectif à
la fois noble et réalisable.
L'ACALAN mettra en place une base de données pour
les échanges d'informations, et consacrera une bonne
partie de ses ressources à l'impulsion de la recherche
et à la coordination des activités de recherche
et de mise en uvre. Pour faciliter son travail, l'Académie
pourra s'occuper de six groupes de langues :
- Langues transfrontalières de grande communication
- Langues transfrontalières limitées
- Langues non transfrontalières de grande communication
- Langues non transfrontalières limitées
- Langues en danger
- Langues importées (ou partenaires)
Les langues transfrontalières de grande communication
peuvent servir de modèles en matière d'habilitation,
car elles disposent d'un grand nombre de locuteurs pour les
soutenir, et les matériels préparés dans
un pays peuvent circuler et être utilisés dans
un autre. Ainsi leur utilisation étendue à des
domaines plus variés ne devrait pas poser problème,
une fois tout le travail sur le développement de la langue
achevé. Par exemple, le Swahili en Afrique de l'Est qui,
en dehors d'autres considérations politiques, pourrait
être facilement retenu comme lingua franca régional.
Il faut ici rappeler que l'OUA, dans l'article 29 de sa Charte
en 1963, avait déclaré que " les langues
de travail de l'Organisation et de toutes ses institutions seront,
si possible, les langues africaines. " En application de
cette clause et du Plan d'Action Linguistique de l'OUA de 1986,
il avait été suggéré que l'Arabe,
le Swahili, le Hausa, et une langue Sud-Africaine apparentée
au Nguni, chacune de ces langues étant une langue transfrontalière
représentant une sous- région africaine, devrait
servir de langue de travail de l'Organisation. L'un des objectifs
majeurs de l'ACALAN est l'habilitation de certaines langues
véhiculaires dominantes en Afrique pour qu'elles puissent
servir de langues de travail au sein de l'Union Africaine et
ses institutions.
Il y a deux types de langues transfrontalières
limitées, selon le nombre de locuteurs : le type symétrique
et le typé asymétrique. Les langues transfrontalières
symétriques sont parlées par de petits nombres
de locuteurs des deux cotés d'une frontière donnée.
Ces langues peuvent paraître insignifiantes, mais elles
jouent un grand rôle dans les interactions, l'intégration
et les activités économiques entre les pays concernés.
Leur rôle dans ce domaine mérite donc une plus
grande attention. Les langues transfrontalières limitées
asymétriques sont parlées par un grand nombre
de locuteurs d'un côté de la frontière et
par un petit nombre de l'autre côté. Parce qu'elles
sont dominantes dans au moins un pays, elles ont un potentiel
d'utilisation dans des domaines plus variés. En outre
les résultats de toute recherche linguistique entreprise
à l'intention du grand nombre de locuteurs peuvent être
facilement utilisés par le petit nombre sans occasionner
des frais inutiles.
Les langues non transfrontalières de grande communication
servent déjà de lingua franca au niveau national.
C'est par un heureux hasard de l'histoire coloniale qu'elles
ne se sont pas retrouvées dans des zones de cloisonnement,
où des lignes de démarcation auraient pu séparer
des parents les uns des autres. Ceci ne devrait pas, cependant,
les rendre moins importantes que les langues transfrontalières.
Dans tous les cas plusieurs de ces langues sont déjà
bien développées et sont utilisées dans
certains domaines importants comme l'éducation. Les travaux
de recherche et de développement sur les langues non
transfrontalières devraient se faire de concert avec
ceux portant sur les langues transfrontalières dominantes,
car l'objectif final est d'habiliter toutes les langues africaines,
et plus les langues sont viables, plus elles ont de chances
qu'on leur confère des compétences.
Les langues non transfrontalières limitées
sont des langues non dominantes parlées par des locuteurs
relativement moins nombreux que ceux des langues dominantes.
Il faut cependant relativiser le caractère numérique,
car une langue qui peut être considérée
comme minoritaire ou parlée par un petit nombre de locuteurs
dans un grand pays peut avoir plus de locuteurs qu'une langue
dite majoritaire dans un petit pays. Dans tous les cas, étant
donné que l'ACALAN a pour mission de favoriser le développement
de toutes les langues africaines, et que la politique pour toutes
les langues est de préférence le pluralisme, avec
son corollaire de développement multilingue et multiculturel,
toutes les langues africaines, grandes ou petites, devraient
avoir un rôle biendéfini dans une politique linguistique
intégrée.
Les langues en danger sont celles qui sont utilisées
par très peu de locuteurs dont les nombres continuent
à s'amoindrir parce que ces langues ne sont plus apprises
ou utilisées par les jeunes générations.
A la longue, à moins que des mesures d'accompagnement
ne soient prises, ces langues vont probablement s'éteindre.
Le problème des langues en danger a fait l'objet de beaucoup
d'attention ces dernières années (Robins et Uhlenbeck
1991 ; Diogenes N° 161, 1993). L'UNESCO, le Comité
International Permanent des Linguistes (CIPL), la Société
Linguistique d'Amérique, la Conférence Mondiale
sur les Langues Africaines (WOCAL), entre autres organisations,
ont entrepris des projets de recherche sur les langues en danger.
Il y a deux approches fondamentales au problème. L'une
vise à épargner l'humanité de la perte
qui peut découler de l'extinction d'une langue en danger.
Cette approche met en exergue l'archivage, qui consistera à
collecter autant de documentation que possible sur la langue,
et à procéder à une description linguistique
aussi complète que le temps le permettra. L'autre approche
consiste à essayer de revitaliser la langue en danger
en encourageant son utilisation dans l'alphabétisation
et dans l'enseignement primaire. La réussite de cette
approche dépendra certainement de la volonté des
locuteurs à assurer la survie de leur langue. S'ils y
ont perdu tout intérêt et s'ils ont déjà
adopté la langue de la communauté voisine, aucune
pression extérieure ne saura assurer la survie d'une
telle langue (Bambose 1993 :23-24).
Les langues importées comme le Français
et l'Anglais, ont été pendant longtemps les langues
dominantes dans la politique linguistique africaine, et elles
le resteront encore pendant quelques temps. La promotion des
langues africaines est souvent interprétée à
tort comme un rejet des langues importées. C'est là
une fausse appréhension, à en juger seulement
par l'expression langues partenaires. Les langues européennes
sont effectivement implantées en Afrique et elles font
maintenant partie du répertoire linguistique disponible
aux intellectuels africains. Elles continueront à être
les partenaires des langues africaines, mais pas dans un rapport
d'inégalité. En effet, une redéfinition
des rôles s'impose de telle manière que les langues
africaines puissent jouer certains des rôles jusqu'à
présent dévolus aux langues importées.
Par exemple, il n'y a pas de raison que l'instruction et l'apprentissage
pendant tout le cycle de l'enseignement primaire ne puissent
pas se faire dans les langues africaines, tandis que le Français
et l'Anglais sont enseignés seulement comme matières.
De même, la diffusion de l'information dans la presse,
notamment la radio et la télévision, doit se faire
en grande partie dans les langues nationales. Bref, le vrai
partenariat sous entend que les langues africaines devraient
cesser d'avoir des rapports d'inégalité avec les
langues européennes importées.
Conformément au Plan d'action élaboré
par la commission ad- hoc mise en place pour préparer
le lancement de l'ACALAN, l'Académie aura, dans les cinq
premières années de son existence à
- Disséminer l'information sur l'Académie
et, en particulier, créer un site web.
- Organiser la mise en place des Commissions de Langues
conformément aux Statuts de l'Académie.
- Documenter, à partir des sources disponibles
dans chaque pays, le nombre total de langues, et élaborer
un annuaire des chercheurs et des spécialistes en langues
(Cf. UNESCO 1978, qui requiert une mise à jour).
- Faire une compilation des données sur les politiques
linguistiques des Etats membres de l'Union Africaine, en insistant
sur les domaines d'utilisation, et élaborer des stratégies
nécessaires en vue d'étendre cette utilisation
à des domaines plus variés.
- Identifier et comparer les programmes d'enseignement
existants en vue d'une harmonisation et d'une adaptation des
politiques linguistiques des Etats.
- Evaluer les matériels didactiques afin de les
améliorer et de faire partager leur utilisation au
delà des Etats, notamment dans le cas des langues transfrontalières.
- Fournir l'expertise aux Etats qui en ont besoin, plus
particulièrement dans le domaine du développement
des langues et la mise en uvre des politiques linguistiques.
- Accorder une attention particulière à
la nouvelle technologie par rapport à l'utilisation
des langues africaines, y compris les logiciels informatiques
en vue de faciliter la saisie, l'impression, la publication
et l'utilisation sur Internet.
- Documenter les cartes linguistiques existantes et collaborer
dans la production de cartes révisées, plus
précises et mieux regroupées.
- Encourager et appuyer l'excellence dans les travaux
de recherche sur les langues africaines en instituant des
prix et en conférant des honneurs et des distinctions.
- Explorer les possibilités de collaboration entre
les domaines de promotion des langues africaines et la recherche
sur les langues officielles importées.
- Faciliter la documentation et l'échange d'information
par la mise en place d'une base de données, la collecte
et l'archivage des documents, et la publication.
On peut espérer que dans l'exécution de
ces activités, l'Académie pourra bénéficier
d'une assistance et d'un financement substantiel de la part
des états membres de l'Union Africaine aussi bien que
des bailleurs de fonds. Il reste entendu que l'essentiel du
travail se fera dans les différents pays et à
travers les membres des Commissions de Langue aussi bien que
des experts invités par les Etats ou les Commissions.
L'objectif final est qu'à travers ces activités,
les pays qui n'ont jusqu'à présent prêté
aucune attention sérieuse au développement et
à l'utilisation des langues africaines commenceront à
le faire, et ceux qui ont déjà commencé
seront encouragés à étendre cette utilisation
à des domaines plus variés, et les Etats qui ont
en commun une langue transfrontalière découvriront
et exploiteront les domaines de coopération et de collaboration
qu'ils jugeront utiles.
Objectifs de l'ACALAN
Bien que les stratégies adoptées par l'Académie
dans l'exécution de ses activités consistent en
une combinaison de la recherche de base et la recherche pratique,
les objectifs ultimes sont d'ordre psychologique, socioéconomique
et politique. Premièrement, l'utilisation accrue des
langues africaines dans des domaines variés leur conférera
des compétences et, de ce fait, contribuera à
leur revalorisation. Les langues européennes importées
ne seront plus considérées supérieures,
et les locuteurs des langues africaines ne se sentiront plus
inférieurs. Ils en seront à juste titre fiers,
et l'image de marque de ces langues sera rehaussée, car
d'autres personnes auront du respect et pour elles et pour leurs
locuteurs.
Deuxièmement, une application immédiate
des langues africaines sera leur adoption comme langues d'apprentissage
et d'enseignement dans le système éducatif formel
et non formel. L'Afrique ne peut espérer briser les chaînes
de l'analphabétisme que si les langues parlées
par la majorité des populations à la base sont
utilisées dans le cadre de l'alphabétisation.
De même, l'objectif de l'Education pour Tous restera un
mirage aussi longtemps que l'éducation de base est dispensée
dans des langues officielles importées qui demeurent
encore le monopole d'une minorité. Un aspect essentiel
de l'habilitation des langues africaines auquel l'Académie
est irrévocablement attachée est l'utilisation
de ces langues autant que possible dans l'éducation aussi
bien comme médiums d'enseignement que matières
dans le programme.
Troisièmement, l'utilisation des langues africaines
pour la dissémination de l'information et la participation
à la vie politique assurera l'implication des populations
à la base dans le processus politique et, partant, la
démystification de l'élite intellectuelle. L'utilisation
des langues étrangères importées a eu comme
conséquence l'exclusion des masses. L'expérience
dans des pays comme le Kenya et la Tanzanie, où la langue
du discours politique a changé de l'Anglais au Swahili,
a révélé un élargissement de la
base en matière de participation (Bamgbose 2000 :11).
Par exemple, beaucoup d'intellectuels qui avaient l'habitude
de dominer les débats en Anglais deviennent tout juste
moyens quand il leur est demandé de s'exprimer dans la
langue nationale africaine.
Quatrièmement, à travers la collaboration
entre Etats ayant une même langue en commun, il se développera
un lien de camaraderie et d'intérêt mutuel qui
favorisera l'intégration socioéconomique et politique.
Cela fait déjà trop longtemps que la division
linguistique coloniale a contribué à obscurcir
les rapports évidents qui découlent naturellement
des langues transfrontalières. Une exploitation délibérée
de ces rapports ne peut que contribuer à l'intégration
de l'Afrique encore si difficile à atteindre.
Cinquièmement, une plus grande utilisation des
langues africaines résultera en une plus grande implication
d'une plus grande partie de la population dans le processus
de développement. Etant donné que tout développement
limité à l'élite ne peut être que
partiel, les avantages qui découlent de l'élargissement
de la base linguistique résulte en l'accroissement du
capital humain, d'où une plus grande participation, un
productivité accrue, et une accélération
de la croissance économique .
Sixièmement, comment l'Afrique peut-elle préserver
sa propre identité au troisième millénaire
? Bombardée qu'elle est de tous côtés par
des influences traditionnellement associées au développement,
telles que l'Occidentalisation et la mondialisation, ne devrait-elle
pas essayer de projeter son Africanité à travers
ses langues ? Tous les discours sur la Renaissance Africaine
ne seront que des slogans creux tant que les dirigeants africains
ne s'engageront pas fermement dans l'affirmation de leur africanité.
Conclusion
Dans tout ce qui précède, j'espère
avoir réussi à présenter quelques éléments
de la mission et la vision de l'Académie Africaine des
Langues. Il ne me reste plus qu'à louer l'initiative
de Son Excellence, le Président Alpha Oumar KONARE, de
la République du Mali, qui a eu l'idée de mettre
en place la Mission pour l'Académie Africaine des Langues
(MACALAN), devenue ACALAN avec la bénédiction
et l'approbation de l'OUA. Au nom de tous les linguistes en
Afrique, j'exprime à Votre Excellence notre profonde
gratitude et nos félicitations pour cette entreprise
louable. Je ne puis qu'espérer que tous les experts en
langue africaine se donneront la main pour faire de l'Académie
un modèle dont l'Afrique sera à juste titre fière,
et que les Etats Membres de l'Union Africaine accorderont à
l'Académie la plus haute priorité, particulièrement
en termes de formulation de politique linguistique et de financement.
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· Traduction du texte original en anglais rédigé
par l'auteur sollicité par MACALAN à l'occasion
du lancement des activités de l'Académie.
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